D’un papillon créole à une Belle espagnole

C’est mon second voyage, et l’Espagne est bien loin…
Mais face au paysage, j’oublie tous mes chagrins.
Ô vous ma chère amie, recevez cette lettre
Et vivez le récit, avec émoi, peut-être…
Laissez-moi vous conter ce qui s’offre à ma vue :
Me voilà fasciné par un monde inconnu…

C’est un p’tit bout de terre au milieu de nulle part,
Toute baignée de mer, embuée de brouillard.
Un papillon s’esquisse sur le fond outre-mer,
Ses deux ailes se glissent entre les flots bleu-vert.
J’ai découvert des lieux proches de l’Eldorado,
Mais jamais de mes yeux de spectacle plus beau !

Le rêve a sa frontière de sable blanc ivoire,
Le paradis est vert et les anges sont noirs.
C’est une île d’Émeraude… Une île qui se veut
Pierre précieuse et chaude brillant de mille feux
Ma fière Caravelle, balancée par Éole,
Ma Niña, ma fidèle, foulons ce nouveau sol…

Un doux parfum sucré embaume l’horizon,
L’air est tout imprégné de ses exhalaisons
C’est un ballet de fleurs et de plantes exotiques
Un carnaval d’odeurs aux vertus hédoniques,
C’est une farandole de saveurs inconnues,
Fruits, légumes et alcools jusqu’alors jamais vus :
Mangues, cocos, kiwis, ananas et bananes
Rivalisent d’envie avec leur jus de canne.

Quels délices ! Quel régal ! Que n’êtes-vous ici,
Dans cette aire tropicale, avec moi chère amie…
Vous seriez la déesse, seul élément manquant,
La touche de noblesse à ces îles du vent ;
Vous seriez ma Vénus, Beauté parmi les dieux,
Une fleur d’hibiscus ornerait vos cheveux ;
Vous seriez l’apogée de ce beau paradis :
L’ange de mes journées, l’archange de mes nuits…

Mais je rentre bientôt ; ainsi le veut la Reine.
Je reprends mon bateau en emportant mes peines :
Mes marins m’ont déçu et l’on m’accuse à tort,
Car eux n’étaient venus que pour trouver de l’or ;
Ils n’ont pas su comprendre la vraie richesse de l’île
Ils ont réduit en cendres mes espoirs trop fragiles :
Je voulais simplement trouver une autre route,
En suivant le couchant, je n’avais aucun doute :
Le chemin vers l’Asie pouvait être plus court!…
Imaginez ! Ainsi, j’en montrais le parcours !

En fait d’Indes et d’épices que Dieu nous refusa,
Il fit don à ses fils de la Karukera
Mais comment faire honneur à ce présent divin ?
Mon amie, j’ai bien peur que l’on ne le sût point…
Car nous, conquistadors, avons osé ouvrir
La boîte de Pandore, objet de nos désirs,
Et laissé échapper nos vices de conquêtes
Notre soif de dompter et nos instincts de bêtes

Voici en quelques mots ma brûlure secrète ;
Je signe de mon sceau tout ce que je regrette :
Mes remords ne pourront jamais être expiés
Les années ne feront qu’accroître mon péché,
Car mon nom restera gravé dans les mémoires
On parlera de moi comme d’un héros sans gloire

Qu’avais-je pour dessein en traversant les mers ?
Asservir des humains ? Coloniser des terres ?
On dit « coloniser » pour ne pas dire « violer » !
Au lieu de les sauver, nous les avons tués !
En fait de découvertes, nous n’avons débarqué
Que pour mieux les soumettre à nos mains de damnés !
J’ai fait du paradis un enfer de violence,
En servant ma patrie, j’ai trahi ma conscience !

Je ne voulais pas ça ! Je ne voulais pas ça !…
Mais qui d’autre à part moi aurait pu faire cela,
Peut-être que ma vie y était destinée…
« Colomb », quelle ironie ! Même mon nom m’a trompé !…


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